Retranscription de l'intervention de Dominique de Villepin le 27 VIII 2007 sur TF1

Publié le par P.A.

Patrick Poivre D'Arvor : On se souvient de votre discours sur l’Irak à l’ONU. Est-ce que vous seriez allé vous-même aujourd’hui à Bagdad, dans les circonstances ?

Dominique De Villepin : C’est une vraie question, il n’y a pas de réponse facile à cela. Je crois qu’affirmer notre solidarité vis-à-vis du peuple irakien, c’est une bonne chose. Affirmer notre volonté de contribuer autant que faire se peut au retour de l’ordre et de la paix, c’est une bonne chose aussi. Mais je pense qu’il y a deux conditions au préalable : la première, c’est un vrai gouvernement de réconciliation nationale en Irak, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et puis il y a une deuxième condition qui me paraît très importante, c’est un véritable calendrier de retrait des troupes américaines. Il y a un grand débat qui a lieu aux États-Unis, et je crois que la France a son mot à dire sur la scène internationale ; tant que les Américains n’auront pas fixé un calendrier clair de retrait, rien ne sera possible en Irak, d’où la nécessité d’une voix forte de la France. Quand Jacques Chirac a, en 2003, pris la tête de ce combat pour éviter la guerre en Irak,

PPDA : (et Nicolas Sarkozy lui a rendu hommage, ce matin),

DDV : eh bien il l’a fait pour éviter le choc entre les civilisations, entre l’Orient et l’Occident. Il l’a fait aussi pour éviter le discrédit des Nations Unies. S’il y avait eu vote, et on l’oublie parfois dans notre pays, s’il y avait eu vote à cette époque aux Nations Unies, eh bien les Nations Unies auraient été entraînées à légitimer la guerre. Nous avons évité ça ; donc je crois qu’il est important aujourd’hui de rappeler. Et c’est pour cela que, aller en Irak : pourquoi pas ? Mais faisons-le avec clarté en posant les exigences si nous voulons être utiles, parce que je crois que tout ce qui peut être, dans cette période, perçu comme un élément de soumission vis-à-vis de l’administration Bush est un mauvais signal et un mauvais service à rendre à l’Amérique et à la communauté internationale.

PPDA : Dominique de Villepin, ça fait plus de trois mois maintenant que vous n’êtes plus Premier ministre. C’est la première fois que vous parlez. Ça fait à peu près 100 jours que l’état de grâce se poursuit, en tout cas, disent les sondages pour Nicolas Sarkozy, vous on ne vous a pas beaucoup entendu applaudir l’actuel chef de l’État alors que même l’opposition semble un petit peu ébranlée. Quel est votre jugement ?

DDV : Patrick Poivre d’Arvor, je ne crois pas que le reproche que vous me faites soit justifié pour une simple raison, c’est qu’on ne m’a pas entendu du tout. Je pense que quand on quitte des fonctions, on se doit à un certain silence ; c’est purement le respect que l’on doit à la démocratie.

PPDA : Alors ce silence vous le rompez ce soir, quel jugement vous portez ?

DDV : Alors aujourd’hui je pense que la volonté et l’énergie qui sont mises en avant par Nicolas Sarkozy sont nécessaires à notre pays, et je constate aussi qu’il y a une grande attente, vous parlez de confiance, c’est vrai qu’il y a aujourd’hui dans notre pays, et je m’en réjouis, une confiance parce qu’elle permet de faire des choses. Néanmoins, la confiance il faut la transformer, et Nicolas Sarkozy est le premier à le dire, il faut la transformer en résultats ! Notre pays ne peut se satisfaire d’un état de grâce politique. Il faut que cet état de grâce puisse s’appuyer sur des résultats. Or si nous voulons que les résultats puissent venir, si nous voulons qu’à la fin de l’année nous soyons en mesure d’afficher un taux de croissance satisfaisant, une baisse du chômage en continu, la situation que j’ai laissée, sous l’égide du Président Chirac, une croissance qui était sur une pente de plus de 2%, 2 points de réduction du chômage en 2 ans, eh bien si nous voulons dans deux ans pouvoir être à 6% comme nous étions à 8% quand j’ai quitté les affaires, eh bien je crois qu’il est important de mettre toutes les chances de notre côté ; or il y a quelque chose qui me frappe aujourd’hui, c’est qu’il y a l’énergie du Président de la République et puis je souhaite qu’il n’y ait pas que l’énergie du Président de la République. Je souhaite que le gouvernement, l’ensemble des ministres, le Premier ministre, la majorité parlementaire, et Dieu sait s’il y a beaucoup de talents dans cette majorité, puissent aussi apporter leurs contributions. Un pays où il n’y a pas de débat politique, c’est un pays qui n’a pas forcément tous les atouts pour faire les bons choix ; donc il est très important que cette mobilisation, cet engagement soit celui de tous ! Et je dis cela pour une raison très simple, c’est qu’aujourd’hui il n’y a pas d’opposition capable de faire des propositions. Il n’y a pas d’opposition capable d’animer le débat démocratique, et je le regrette.

PPDA : Donc l’opposition devrait venir de la majorité ?

DDV : Il appartient à la majorité de susciter en son sein, je vous rappelle d’ailleurs que c’est ce que nous avons fait pendant les deux ans où j’étais Premier ministre. C’est-à-dire que les idées, les propositions sont venues de la majorité. La majorité a une responsabilité, c’est de ne pas s’endormir sur ses lauriers, ne pas s’endormir sur un état de grâce qui est aujourd’hui présent mais qui ne s’appuie pas encore sur des résultats. Ces résultats, nous en avons besoin, mais il nous appartient à tous d’y contribuer.

PPDA : Vous n’auriez pas aimé être à sa place ? Parce que dans votre tête, à un moment donné, vous avez pensé disputer vous-même la compétition ?

DDV : Alors, monsieur Patrick Poivre d’Arvor, je vous rappellerai une chose : toute ma carrière politique a été placée sous le signe du service, de la mission. J’ai accepté les missions qui m’ont été confiées, ministre des affaires étrangères, ministre de l’intérieur, Premier ministre; je n’ai jamais brigué un poste, je n’ai jamais sollicité un mandat. C’est donc vous dire à quel point, dans ma démarche, et le silence que vous avez évoqué tout à l’heure des derniers mois, le montre bien ; dans ma démarche, il n’y a pas d’ambition personnelle. ET je trouve quelque peu piquant qu’aujourd’hui on veuille me présenter comme quelqu’un qui a voulu éliminer un soi-disant rival, sachant justement que je n’ai jamais fait preuve d’ambition personnelle en matière politique.

PPDA : Et vous n'avez pas cherché à lui nuire dans l’affaire Clearstream ?

DDV : Vous savez, monsieur Patrick Poivre d’Arvor, en politique, on a une éthique. Mon éthique en politique a toujours été de privilégier l’idéal et l’engagement, et si j’ai choisi de demander à Nicolas Sarkozy d’être mon numéro 2, si je lui ai demandé d’accepter de revenir dans le jeu politique, il y a bien longtemps, en 97, en lui tendant la main, c’est bien parce que je pensais que son talent et sa compétence, eh bien, étaient nécessaires. Donc je crois qu’on ne peut pas me faire ce procès d’intention. Mais vous me permettrez une notation un peu personnelle parce que ce soir j’éprouve une certaine tristesse, et je vous dirais même une certaine, oui, une certaine rage. J’ai consacré 30 ans de ma vie au service de mon pays. Aujourd’hui, je vis la suspicion, et ma famille, mes proches, en souffrent. Quand on subit une perquisition à son domicile ; quand un assistant subit une perquisition chez lui, son enfant de la même façon ; quand on soulève le matelas de vos enfants, quand on fouille dans leurs ordinateurs, quand on fouille dans leurs placards, eh bien je ne suis pas sûr que tout cela soit justifié !

PPDA : Vous avez été traité moins bien qu’un autre ?

DDV : Je pense que j’ai plus de devoirs qu’un autre, donc je ne me plaindrai jamais. Mais je me pose la question : pourquoi cet acharnement, pourquoi suis-je dans cette affaire victime d’une telle injustice ? Alors, face à cela il y a la nécessité, et c’est ce que je vais faire, ce que je m’emploie à faire, de se battre pour la vérité ; c’est ce que je vais faire !

PPDA : Alors il y a deux façons de se battre : soit devant la justice habituelle, ordinaire comme l’on dit, soit devant la Cour de Justice, c’est-à-dire l’ancienne Haute Cour, en disant bon voilà tout ça était du ressort de mes activités de ministre des affaires étrangères, de ministre de l’intérieur, c’est ce que vous allez faire finalement ?

DDV : J’ai agi comme ministre des affaires étrangères et comme ministre de l’intérieur, et qu’auriez-vous fait à ma place ? Quand vous êtes ministre, on vous apporte

PPDA : bien, on peut pas téléphoner à son collègue en disant : « je viens de voir ton nom dans un listing douteux » ?

DDV : Oui, mais pour cela, il faut avoir vu le nom, monsieur Patrick Poivre d’Arvor. Dans cette affaire, on me fait un procès d’intention politique. À partir d’éléments que l’on suppose que j’ai connus, que l’on suppose que j’ai eus en main et que je n’ai pas eus en main. Donc qu’auriez-vous fait ? Vous êtes à un moment donné en responsabilité et on vous apporte des éléments d’une menace contre les intérêts internationaux de la France, ou quand j’étais ministre de l’intérieur contre notre sécurité économique. Eh bien j’ai demandé des vérifications. À aucun moment j’ai demandé quelque chose d’autre. Et c’est pour cela que je ne saisirai pas la Cour de Justice de la République, bien que j’aie agi dans le cadre de mes fonctions, parce que j’estime que je suis comme n’importe quel citoyen, comme un citoyen ordinaire, et à partir de là je répondrai à toutes les questions qui me seront posées, comme je l’ai fait au mois de décembre. Je n’ai rien à cacher, mais je veux surtout que la justice puisse agir rapidement. Et si vous me permettez, j’ai deux questions qui me taraudent ; la première : qui a manipulé ces listings et pourquoi ? C’est ce qui a causé des centaines de...

PPDA : C’est ce que demandent les juges également, ils le souhaitent.

DDV : Absolument. Et une deuxième question : comment a-t-on pu transformer une affaire industrielle et internationale en une affaire politique dont je suis aujourd’hui la victime ? Quelles pressions, quels intérêts ont fait qu’aujourd’hui je suis visé dans un dossier alors qu’à aucun moment je n’ai agi, dans ce dossier, dans un cadre politique ?

PPDA : Et vous avez une réponse, un début de réponse ?

DDV : Je n’ai pas de réponse mais je vais l’apporter. Ce que je peux vous dire, c’est que la vérité apparaîtra, et ce que je peux vous dire, c’est qu’il apparaîtra que la lecture politique, que l’hypothèse d’une affaire politique, eh bien, apparaîtra comme fausse et profondément injuste.

PPDA : Je vous remercie, Dominique de Villepin, et je rappelle au passage que vous venez de livrer un nouvel ouvrage sur Napoléon Bonaparte qui s’appelle le « Soleil noir de l’empire ».

DDV : de la puissance !

PPDA : Est-ce que justement il y a un petit côté Bonaparte chez Sarkozy ?

DDV : Oh, je me garderai bien de faire des comparaisons. Ce que j’ai voulu à travers ce livre, c’est analyser après « Les cent jours » qui étaient la métamorphose d’un homme dans la chute essayant de tirer les leçons de l’expérience, j’ai voulu là analyser comme autre métamorphose comment un homme à l’apogée, dans son ascension, eh bien, était déjà miné par la chute.

Source:
http://halte-au-complot-contre-villepin.over-blog.com/

Publié dans 2007

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article