D. de Villepin accuse Sarkozy

Publié le par P.A.

DOMINIQUE de Villepin contre-attaque, et vivement. Renvoyé devant le tribunal correctionnel pour « complicité de dénonciation calomnieuse », et donc accusé d’avoir voulu impliquer Nicolas Sarkozy dans l’affaire Clearstream, l’ancien Premier ministre réaffirme son innocence. Mais il accuse surtout le chef de l’Etat d’être mû par la passion.

Et d’être juge et partie dans l’affaire.

Vous avez été renvoyé en correctionnelle dans l’affaire Clearstream.

Y voyez-vous un règlement de comptes politique ?

Dominique de Villepin.
Dans cette affaire, j’ai la conviction et la sérénité du juste. L’emballement auquel nous avons assisté depuis quelques mois n’est pas gratuit. C’est le fruit de pressions que je considère comme tout à fait inacceptables. Je n’ai jamais dénoncé calomnieusement quiconque, ce n’est pas ma conception de la vie, ce n’est pas l’idée que je me fais de la politique.

Les réquisitions des juges sont sévères à votre égard : complicité de dénonciation calomnieuse, complicité d’usage de faux, recel de vol et recel d’abus de confiance…

Ce sont des mots, pas des preuves. Mon innocence dans cette affaire est totale. J’ai agi en conscience, conformément à mon devoir à la fois de ministre des Affaires étrangères et de ministre de l’Intérieur. Je considère que l’instruction a été partielle et partiale. Elle s’est focalisée sur une rivalité politique entre Nicolas Sarkozy et moi-même, rivalité politique qui aurait tourné au règlement de comptes. Alors, c’est vrai, nous avons des histoires, des personnalités, des ambitions différentes. Je veux néanmoins rappeler que, pour ma part, je n’ai de haine envers personne et que je ne veux pendre personne à un croc de boucher (NDLR : l’expression aurait été employée par Nicolas Sarkozy à propos de Villepin). Je crains que Nicolas Sarkozy ne soit en grande partie aveuglé par la passion, cédant même parfois à une tentation de victimisation.

Y a-t-il de la haine à votre égard chez Nicolas Sarkozy ?

Ecoutez, il n’a pas caché que cela pouvait être un des moteurs de son comportement. La passion qu’il a mise dans cette affaire a effectivement pesé sur l’instruction et orienté l’ensemble de ce dossier depuis le départ. Je constate d’ailleurs qu’aucune des autres parties civiles n’a retenu l’attention de la justice. L’instruction s’est construite uniquement autour et pour Nicolas Sarkozy.

« Il n’y a jamais eu de cabinet noir »

Il souhaite que toute la lumière soit faite dans cette affaire. Peut-on lui donner tort ?

Bien sûr que non. Mais la justice ne se fait pas au prix d’une injustice. Dès l’origine, j’ai été désigné comme le bouc émissaire. Tout s’est mis en place alors pour un véritable lynchage médiatique et judiciaire. Comment aurait-il pu en être autrement dès lors que le plus haut responsable de l’Etat intervient ouvertement dans le processus ?

Avez-vous cru apercevoir la fin du tunnel judiciaire cet été ?

A la fin de l’instruction, il était de notoriété publique que le parquet ne croyait pas à des charges suffisantes contre moi. Puis, contre toute attente, il a fait volte-face. L’instruction a été menée au mépris du bon sens, avec beaucoup d’incohérences, contredisant la vérité des faits et la vérité du droit. Tout cet échafaudage de mensonges et de manipulations tiendra-t-il jusqu’au procès ? Je n’en suis pas sûr. Mais en tout cas, il faut que l’on sache que rien de tout cela ne m’impressionne. Je paye le prix de l’indépendance politique qui a toujours été la mienne.
Sinon, pourquoi chercherait-on systématiquement à m’atteindre ?

Vous avez rencontré à de nombreuses reprises l’ex-patron des RG, Yves Bertrand, lui-même mis en cause après la publication de ses carnets…


Je ne suis absolument pas concerné par ces carnets. Certains cherchent à leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. J’ai rencontré effectivement Yves Bertrand lorsque j’étais secrétaire général de l’Elysée sous Jacques Chirac. Nous étions alors en cohabitation. Dans cette période, il y avait un fort risque sur la sécurité intérieure et de nombreuses attaques contre le président de la République. Il était donc normal que je m’entretienne avec le directeur des renseignements généraux, sur des sujets d’intérêt général. Il n’y a jamais eu de cabinet politique, de cabinet noir comme certains l’ont affirmé. Tout cela est totalement faux.

Dans un entretien à « Marianne », le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, annonce qu’il soutiendra lui-même l’accusation lors du procès et qu’il juge avec « mépris » ceux qui laissent entendre qu’il y a eu pression de l’Elysée contre vous.


Que lui répondez-vous ?

Rien. M. Marin essaye de faire son travail, même s’il ne peut ignorer que je suis innocent. Il est placé dans une position intenable comme beaucoup d’autres responsables de l’Etat.

C’est-à-dire ?

Je ne veux pas personnaliser. Mon combat n’est pas un combat personnel, pas plus qu’un combat contre Nicolas Sarkozy. Mais il n’est pas acceptable qu’il puisse y avoir dans notre pays une telle confusion entre les intérêts privés d’une partie civile et la responsabilité publique du président de la République. Cette confusion est dommageable au bon fonctionnement de la justice. La justice est un bien fragile. Le principe d’égalité des citoyens doit prévaloir. C’est pour cela que je réclamerai des garanties au moment du procès. C’est pour cela aussi que j’ai décidé de mener une action spécifique devant le Conseil d’Etat face à la décision du chef de l’Etat de prolonger la nomination du juge Pons. Il y a là un mélange des genres inacceptable.

« Des menaces lourdes sur l’indépendance de la justice »

Vous n’avez pas confiance en la justice de votre pays ?

Une justice sous influence ouvrirait la voie à une justice politique. Nicolas Sarkozy a toutes les manettes en mains : il est le maître de l’ensemble du processus judiciaire. Il est maître de la composition d’une juridiction alors même qu’il est partie civile dans le dossier ; il est maître du calendrier du procès, on parle de 2009 ou de 2010 ; il est maître de l’accès à l’information et il est chef des parquets. C’est impressionnant. La justice doit donc être en position de ne pas se laisser influencer. Il y a malheureusement des menaces lourdes qui continuent à peser sur son indépendance dans cette affaire.

Envisagez-vous de vous présenter aux prochaines élections européennes ou régionales ?

Tout cela est prématuré. Je n’accorde aucune attention aux rumeurs, qui sont légion. Il y a des rythmes dans la vie politique. J’ai refusé tous les postes que l’on m’a proposés et je n’ai jamais rien demandé, contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là. Je n’attends rien. Je poursuis mon engagement public à la place qui est la mienne. Ma détermination est plus forte que jamais.

Source: Le Parisien

Publié dans Interview

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article