Dominique de Villepin, mes nuits d'encre

Publié le par P.A.

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas d'animal politique qu'il s'agit, ni d'homme embourbé dans les méandres politico-judiciaires. Dominique de Villepin, ex-Premier ministre et nouvel avocat du barreau de Paris, se distingue par un nouvel écrit, Hôtel de l'insomnie. Une oeuvre réussie, où transparaît son goût du romantisme, incarné dans les poètes dont il se fait le laudateur.

Loin des turpitudes politiques, Dominique de Villepin sort un nouveau livre sur de grands auteurs. (Reuters)

Les tempêtes. Ceux qui ne l'aiment pas affirment qu'il les provoque; ceux qui l'aiment soulignent qu'il les affronte. On s'accordera à dire qu'il n'observe pas la grêle dévaster des champs de vie entière derrière une fenêtre à double vitrage. Dominique de Villepin, Premier ministre de la France de 2005 à 2007, ne sait pas vivre les bras croisés. Il est ainsi fait. Orgueilleux, singulier, excessif, tourmenté. La victoire l'exalte (comme tout le monde); la défaite l'exhorte (comme personne). C'est sa faille et sa force. Un goût du romantisme hors cadre. On sent bien qu'il accepterait d'être mis à terre mais uniquement par un désastre tombé du ciel. Il est entré dans le monde politique, certain de tutoyer grands hommes et hauts faits. Il a découvert avec fracas, à force de croiser valets et pantins dans les allées du pouvoir, que les êtres de chair et de sang se rencontraient avant tout en littérature. Il revient donc, aujourd'hui, avec Hôtel de l'insomnie. On n'y trouve aucun propos sur ses désastres (la dissolution de l'assemblée nationale en 1997), ses réussites (la baisse du chômage), ses échecs (la crise du CPE), ses gloires (le discours antiguerre à l'ONU en 2003), ses orages (l'affaire Clearstream). Mais, en même temps, tout est là. L'auteur du Soleil noir de la puissance (Perrin, 2007) y parle, à travers Borges, Bataille, Baudelaire, Pascal, Césaire, Kafka et beaucoup d'autres, de la littérature comme d'une poigne intérieure.

"Pour rester vivant, il faut se transformer"

Dominique de Villepin, assis dans son bureau du Centre de conférences internationales, converse avec les mains. Comme tous ceux dont une courtoisie d'adulte peine à éteindre une colère d'adolescent. Il évoque son lien fou et fort avec la littérature. "Je ne mets pas la beauté et le talent sur une étagère. Les grands auteurs sont au rendez-vous des moments importants de notre vie. J'ai écrit Hôtel de l'insomnie durant ma deuxième année d'exercice à Matignon, en début de nuit. C'est une année de questionnement. J'ai voulu établir une continuité humaine avec mon action d'homme politique. C'est-à-dire rester sur un travail de conscience. Je serais incapable d'écrire un livre d'anecdotes politiques pour distribuer les bons et les mauvais points. Je ne l'ai jamais fait; je ne le ferai jamais. Ce n'est pas mon rapport à la littérature. Hôtel de l'insomnie est un livre de nécessité. J'avais besoin de l'écrire pour être capable d'aller au jour suivant."

Hôtel de l'insomnie, bien loin du trop pompeux et trop fougueux Eloge des voleurs de feu (Gallimard, 2003), se révèle une réussite. Dominique de Villepin y raconte, à voix haussée et à voix cassée, des vies et des oeuvres d'écrivains soudées par le courage. Comment affronter la peur de soi et des autres dans un monde déchiré? Chacun des auteurs choisis aide à rester à vif. "Il faut être une conscience qui réfléchit et qui agit. Ne pas s'installer. Etre dans la prise de risque. Savoir dépasser les frontières dans lesquelles on est enfermés. Pour rester vivant, il faut se transformer. Je veux montrer, dans mes livres, comment un homme arrive à changer et comment, quand il ne peut plus changer, il dépérit. Le mauvais sort peut parfois être une bonne chose. Les épreuves permettent d'aller au bout de soi-même."

"La poésie est une manière de se désinstaller"

On croise sans surprise, dans Hôtel de l'insomnie, Rimbaud, Darwich, Artaud, Char. Les plus belles pages sont celles consacrées à Fernando Pessoa. L'auteur du Livre de l'intranquillité, aux multiples noms d'emprunt, incarnation de la "grandeur obscure". Dominique de Villepin, homme aux visages contrastés, complexes, contrariés, contradictoires, saisit avec fulgurance ce que c'est que d'avoir plusieurs personnalités en une seule. Une paix intérieure toujours au bord de la guerre extérieure. L'amour de la littérature aide à être mais pas forcément à faire.

Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, raconte les années Matignon 2005-2007 dans Des hommes d'Etat (Grasset, 2008). Il y a cette scène où Nicolas Sarkozy (trop de son temps) somme, sur le mode humoristique, Dominique de Villepin (pas assez de son temps) de choisir entre la poésie et la politique. Ça sera la poésie parce que la beauté peut être l'affaire d'une vie entière. Dominique de Villepin nie, bien sûr, avoir à choisir entre les deux. "Je ne vis pas dans la nostalgie d'un ailleurs. Je veux vivre mon siècle et mon pays. La poésie est une manière de se désinstaller. Comment éviter, lorsque l'on est au pouvoir, d'être son propre objet d'ambition? La politique est pleine de miroirs. On devient vite prisonnier du regard des autres avec le risque de ne plus s'appartenir. Il faut se ressourcer. Etablir une pudeur, un silence, un mystère. On se retrouve sinon coupé de sa réalité: on n'est plus qu'un reflet."

Hôtel de l'insomnie ne contient aucun règlement de comptes. C'est presque pire. Le livre tout entier, par les auteurs vénérés, définit une conduite de vie. "J'ai été marqué, dès la cour de récréation, par tout ce qui touche à l'ironie et à la dérision. Je suis porté par le partage. J'ai choisi, dans Hôtel de l'insomnie, des êtres rugueux, ancrés dans la réalité, courageux, qui ne jouent pas avec les idées et les mots. Des êtres qui paient comptant."

"Je ne m'aime pas, je me suis assumé"

Dominique de Villepin y cite le télégramme de l'explorateur Jean Charcot envoyé à l'Académie des sciences: "Avions rêvé davantage. Avons fait du mieux possible." Hôtel de l'insomnie n'est pas un adieu à la politique. "On peut vivre de mille regrets. Mais j'ai poussé à l'extrême ce que je pouvais donner, j'ai eu la conscience tragique de l'action que je menais. La politique a des travers. Car parfois, pour atteindre un but, il faut prendre des chemins détournés." Dominique de Villepin, qui vient de prêter serment pour devenir avocat, se retrouve à un tournant de sa vie. Mais il donne l'impression de s'aimer beaucoup trop pour ne pas penser que seuls les autres ont tort. "Je ne m'aime pas. Je me suis construit à partir d'épreuves et de déchirures. Je me suis assumé, dès enfant, dans ma différence. On n'est pas tous pareils. Je peux paraître hautain parce que je ne me donne pas d'emblée. Mais, pour employer un mot que je déteste, je ne deale jamais. Je mets du poids dans ce que je fais."

On n'entend pas tout et le contraire de tout sur lui. Il se lie et se délie dans l'éclat. De la meilleure amie (la réalisatrice Danièle Thompson) au meilleur ennemi (le journaliste Franz-Olivier Giesbert). On dit Dominique de Villepin fidèle et rancunier. "Mes rancunes ne bronchent pas. Mais comment est-ce qu'on réinvente une relation avec quelqu'un, quand on a le sentiment d'avoir été trahi? C'est difficile mais pas impossible."

Hôtel de l'insomnie est écrit pour éloigner rancunes et amertumes. Dire son admiration (René Char); faire partager (Paul Celan). Dominique de Villepin jure ne pas (ne plus) avoir besoin de reconnaissance. "C'est un des fossés entre Nicolas Sarkozy et moi. Je lui ai dit, dès le premier jour, que je ne serai pas candidat. Il ne m'a pas cru. Il n'a jamais voulu comprendre que je ne voulais rien." Dominique de Villepin assure que l'on peut vivre une vie d'homme sans aucune gloire. "La discrétion est une qualité essentielle. Je regrette de ne pas avoir été plus discret par le passé." On ne sait s'il dit faux, s'il dit vrai, s'il a changé, s'il a encore changé. Il a découvert de nombreuses fois de petites plaquettes de poètes inconnus aux mots bouleversants. Il a vu de nombreuses fois des plaques de résistants morts pour la France dont on ne sait plus rien aujourd'hui. On passe sa vie sans laisser de trace et ça n'a aucune importance. Ça ne se joue pas comme ça. Dominique de Villepin dit que les raz de marée assumés et regardés bouleversent en profondeur un homme. On rencontre d'autres gens; on entend d'autres voix; on voit d'autres paysages. Car c'est uniquement ça qu'il ne faut pas: que la vie passe sans laisser de trace.

Hôtel de l'insomnie, Dominique de Villepin | Plon | 200 pages | parution le 30 janvier

Source: Le JDD

Publié dans Livre

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