Dominique de Villepin : la défaite en chantant

Publié le par P.A.

"Ils veulent savoir comment je fais pour rester toujours de bonne humeur... mais c'est un secret de fabrication bien gardé ! Je ne veux pas qu'on me le pique !" Ses grandes jambes pliées sous la tablette d'un carré TGV, direction Laval, en seconde classe, mardi matin, Dominique de Villepin se tord de rire à la seule évocation du questionnaire de santé auquel tous les candidats, sauf lui, ont consenti à répondre pour le Quotidien du médecin. "Quoi, ils veulent savoir quel yaourt je mange le matin ?" Assise à ses côtés, son attachée de presse poursuit timidement l'énumération des invitations auxquelles il n'a pas encore répondu. Un grand quotidien sportif lui propose même de raconter son "programme d'entraînement" pour la campagne. Il s'esclaffe. Lui, le marathonien, pour qui la politique est affaire de tempérament, de trempe ? Soyons sérieux...

L'ancien Premier ministre, qui, avec sa campagne faite de bric et de broc, n'a pas décollé dans les sondages, a un rêve fou : qu'on puisse les comparer "vraiment", Hollande, Bayrou, Sarkozy et lui. Qu'ils "s'affrontent avec des mots, autour d'une table". Alors seulement, les Français pourront savoir "ce qu'ils ont dans le ventre". "Sinon, c'est la Redoute, on choisit sur catalogue", regrette-t-il. Mais il n'y croit pas un instant. La faute, selon lui, à ces "hommes politiques en chocolat", ces "candidats pré-programmés", cette "classe politique qui a peur du réel, du hasard, de la rencontre, de l'électrochoc, de l'improvisation !". L'air résigné, il écrase son poing dans sa main et tonne : "Le premier tour a été volé !" Et de prophétiser, l'air grave, se redressant sur son siège SNCF : "Les Français ne vont choisir qu'une moitié de président. Et ce demi-président sera corrigé par la réalité. Parce que la crise appelle à de nouveaux modèles, il devra être au rendez-vous de l'union nationale..."

"Les ricanements, je connais ça depuis l'enfance"

En visite en Mayenne, chez le député Marc Bernier - l'un de ses derniers soutiens -, Villepin fait d'abord mine de ne pas avoir baissé les bras, malgré ses difficultés à récolter les parrainages, à quinze jours de la date fatidique. "Ce n'est pas parce qu'on n'a pas ses signatures aujourd'hui qu'on ne les aura pas demain", explique-t-il, sans flamme, pour la forme. Mais à l'entendre comparer sa démarche à celle qui a été la sienne en 2003, à l'ONU, on comprend qu'il conçoit sa candidature comme un combat aussi indispensable que perdu d'avance. "Contre l'Irak, je savais qu'il serait très difficile d'empêcher la guerre. D'ailleurs, on ne l'a pas fait. Mais on a empêché le choc des civilisations", explique-t-il, sans jamais craindre qu'on moque sa grandiloquence. "C'était une démarche minoritaire, elle suscitait l'ironie, la commisération. Les ricanements, je connais ça depuis l'enfance. Mais les combats ne sont jamais perdus. C'est le sel de la vie. on inocule, on instille une vérité dans le débat politique, on force la classe politique à se préoccuper de l'action." Et de s'interroger : "Qu'y a-t-il de grandiloquent à faire son devoir ? C'est notre destin à tous, comme les petits garçons qui rentrent de l'école."

Au fil de la discussion, Villepin se laissera même aller à parler à l'imparfait. Quand une journaliste lui fait remarquer que Mélenchon, avec peu de moyens, est beaucoup plus haut que lui dans les sondages, il fait l'étonné : "Mais moi, je n'avais rien !" Et de se reprendre : "Je n'ai toujours rien, d'ailleurs..." Sur l'avenir, ce candidat de dernière minute joue les intraitables. "On ne m'achètera pas", veut-il faire savoir. "Je ne vais pas à 58 ans commencer une carrière politique de compromission. Je ne me rallierai à personne. Le soleil, je le connais déjà bien." Pourrait-il être un ministre de Nicolas Sarkozy ? Réponse, du tac au tac : "Jamais deux mâles dominants dans la même pièce." De toute façon, il ne voit pas le président sortant vainqueur cette année. "Je ne dis pas qu'il ne peut pas gagner. Mais sa stratégie n'accroche pas le terrain. Ça fait de la mousse, ça fait des bulles..." Sa principale erreur, selon Villepin ? "Ne pas avoir laissé croire aux Français qu'il pouvait perdre." Quant à sa propre campagne, il reconnaît du bout des lèvres qu'il aurait pu partir en campagne plus tôt.

De la cuisson de l'oeuf mollet

S'il concède que "certaines questions de journalistes sont agressives, car on a l'impression qu'on questionne la légitimité de votre présence", Villepin continue malgré tout à jouer les politiques en campagne. Un coup il moque le candidat Bayrou en se disant "très heureux qu'il ait repris (son) idée de référendum". Quelques minutes plus tard, sur le quai de la gare de Laval, entouré d'une petite dizaine de journalistes, il s'en prend à Hollande et sa taxation des "super-riches" à 75 %. En promenade dans la ville quasi déserte de Vaiges, il entre dans la moindre boutique ouverte pour serrer des mains, se fait offrir des huiles essentielles par une passante. Invité à visiter une bibliothèque pour enfants, il s'assoit sur un tabouret qui lui arrive à mi-mollet et prend la pose pour les photographes, pas peu fier de sa trouvaille. Déjeunant avec des responsables associatifs locaux, Villepin se lancera encore dans une tirade sur feu "Super Nanny", la nounou de M6 - une "référence" en matière d'éducation ! -, pour la plus grande joie de ses convives.

La journée avançant, Villepin, grave mais jamais sérieux, se fait toujours plus blagueur, comme si la réalité le rattrapait. Même dans le car où l'accompagnent quelques journalistes, l'ex-Premier ministre amuse la galerie. Un rien survolté, il clame, les yeux rivés sur le paysage : "Mais où sont les platanes ?" Avant d'expliquer dans un grand sourire, malgré les gloussements : "Notre pays s'est enlaidi, il n'a plus de haies, plus de bocages. Un platane, ça raconte une vie, c'est beau, c'est un accident de parcours..." Dans le train du retour, il donnera quelques conseils sur la cuisson de l'oeuf mollet, entre deux wagons, à des passagers ahuris. "Vous n'avez pas l'air angoissé par la recherche de vos parrainages, ou en tout cas, vous ne le montrez pas", lui fait-on remarquer. Villepin éclate de rire, avant d'expliquer, en substance : "Ah ! Si les hommes politiques laissaient paraître chacune de leurs angoisses !"

Source: Le Point

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